Au confluent de l’Arlune et de la Rulles, sur les berges de l’étang de pêche du moulin (créé dans les années 1980), à côté de l’oseraie. Face à nous, en direction de la grande forêt d’Anlier, nous voyons l’avancée rocheuse qui émerge de la masse boisée. C’était l’emplacement du château féodal de Bologne sur lequel fut construit un puissant château-fort qui commandait l’accès à la vallée et le passage vers Anlier.
Le site, véritable éperon barré, était propice à une telle construction. La tradition rapporte que l’on entailla la roche pour séparer cette pointe et aménager un large fossé où l’on détourna une partie du cours de l’Arlune créant ainsi la cascade toujours visible le long de la route de Neufchâteau. Un pont de pierre avec probablement un pont-levis reliait les deux parties : d’une part la place-forte baignée par les eaux et marais à l’est, au sud et à l’ouest, d’autre part un bloc d’habitations construites au sortir de la forêt, de
l’autre côté du pont-levis. Il ne reste évidemment plus de structures visibles du château, ni des habitations dont la présence fut attestée lors de la création de la route de Neufchâteau en 1854. Le château était lui très imposant dans le style, toutes proportions gardées, d’Esch-sur-Sûre ou encore, pour visualiser les choses, de Bouillon. Son enceinte entourait un terrain d’environ 80 m de large sur à peu près 200 m de longueur, partagé en 2 parties. La première au point culminant, au-dessus de la route actuelle, constituait
le corps principal du château et formait un rectangle de 70 m sur 100, ayant à chaque angle une tour de près de 20m de diamètre intérieur, les murs avaient 1,5 à 2 m d’épaisseur.
Une 5e tour était dans la face nord-est, vers le moulin et se rattachait aux bâtiments construits dans cette enceinte. Une petite chapelle castrale existait également, elle était dédiée à Sainte Catherine (Source Emile Tandel 1890).
Pour rappel, à l’époque féodale, avec le régime de la vassalité, les seigneurs étaient imbriqués dans toute une série d’alliances et de dépendances sous l’autorité de nobles (comte…) ou d’un prince, eux-mêmes dépendant de l’Empereur (Saint-Empire) ou d’un Roi (ex la France). Au XIVe siècle, la place-forte de Bologne appartenait à Jean l’Aveugle, le roi de Bohême, comte de Luxembourg qui y aurait d’ailleurs séjourné en 1342 mais le château est plus ancien et pourrait remonter au IX ou Xe siècles avec des racines qui plongeraient jusqu’à l’époque celtique (comme peut le suggérer l’étymologie du mot : ogne correspond à acum : une habitation bou, bo de boscus, bois). La première trace écrite date de 1214. Ce premier jalon avéré atteste qu’un Otto de Bolonia assiste au mariage de la comtesse Ermesinde et de Waleran de Limbourg.
Justement, le personnage qui vous accueille est un seigneur de Bologne. Il se nomme Gobert de Bologne, l’illustration ci-contre est un croquis de sa pierre tombale qui était présente à l’abbaye d’Orval ; ce seigneur y est représenté en armes, épée et écu armorié, grande cape et armure. C’est un
homme de guerre, qui a été récompensé d’un fief par son suzerain. Il dispose donc en tant que seigneur, de terres sur lesquelles il a droit d’exercer la justice et d’y prélever des taxes et impôts dont il peut percevoir une partie pour ses propres revenus. Le château devait défendre les terres du comte de Luxembourg en cas d’attaque. Au fil des siècles, avec l’affaiblissement de la chevalerie, l’homme fort de Bologne devint un prévôt qui conservait plus ou moins les mêmes droits et pouvoirs, mais n’était plus forcément un noble quoique de nombreux nobles exercèrent cette charge, mais pouvait être un homme en vue qui exerçait, en quelque sorte en bon fonctionnaire les tâches confiées par le prince ou ses représentants.
Jusqu’en 1795, c’est-à-dire avant que le Directoire n’installe l’administration française le département des forêts, le territoire de l’actuelle commune de Habay était tout entier compris dans le ressort de la prévôté de Bologne mais aussi d’autres villages environnants. Le terme de prévôt issu du latin « praepositius » signifiant chef ou officier désignait un officier, un magistrat d’ordre civil ou judiciaire dépendant d’un seigneur noble et ainsi appelé à la représenter dans ses fonctions de justice et perceptions d’impôts (ex la dîme ou dixième partie des revenus).
Ces premiers seigneurs puis prévôts n’étaient pas forcément appréciés des populations qu’ils taxaient et à qui ils infligeaient des peines allant jusqu’à la mort dans les cas les plus extrêmes. A Habay, la rue du Gibet et le quartier de la Courtière rappellent par la toponymie l’endroit où se rendait la justice autrefois dans le village. Le personnage qui nous accueille dans cette promenade est donc un seigneur autoritaire et craint, qui use de sa force sur les habitants. Ceux-ci doivent lui obéir, par exemple en faisant moudre
leurs grains au moulin banal (= qui appartient au ban, au territoire du seigneur) qui existe toujours et que vous voyez à droite, le long de la route face à l’étang Remy (monsieur Remy père fut le dernier meunier du village, le moulin est attesté dès le XIVe siècle, incendié en 1897, il fut partiellement reconstruit en 1898). Le prévôt y prélevait d’ailleurs au passage son dû en farine. La rue qui relie ce quartier au pont de la Rigole, autrefois appelée à juste titre rue du Moulin, a changé de nom pour devenir rue du Prévôt vers
1977 du fait des fusions de communes, le village d’Houdemont avait aussi sa rue du Moulin, un double emploi qui justifia que Habay-la-Neuve change de nom.
Au fil du temps, une série de légendes sont nées de ces personnages et des ruines du château qui fut détruit à plusieurs reprises (1552, 1684…), notamment celles du Var Bouc que nous évoquerons bientôt et celle des Kâkirans à laquelle vous participez ici.